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Alors qu'il s'apprête à quitter la direction de Supélec fin août 2013, Alain Bravo revient sur le rapprochement de son école avec Centrale Paris et la construction de Saclay. Au-delà du bilan, il livre à EducPros ses réflexions sur la transformation de l'enseignement supérieur avec la loi ESR.
Que retenez-vous de ces neuf années passées à la tête de Supélec ?
Je n'ai pas vu le temps passer ! Il faut dire que nous sommes engagés dans un processus de transformation de l'enseignement supérieur et de la recherche très profond, comme il y en a tous les quarts de siècle.
Supélec a été un acteur de premier ordre de ce mouvement, impliqué très tôt dans la politique de site du plateau de Saclay, à travers les pôles de compétitivité, les RTRA [réseaux thématiques de recherche avancée] ainsi que la FCS [fondation de coopération scientifique], qui a porté le Plan campus.
Dans cette transformation, nous avons trouvé en Centrale un compagnon de route partageant parfaitement notre stratégie.
Vous quittez Supélec à un moment important pour l'école, puisqu'elle franchit un pas de plus dans son rapprochement avec Centrale...
En effet, à partir du 1er septembre 2013, le directeur de Centrale et celui de Supélec seront incarnés par un seul et même homme, Hervé Biausser. Ce type d'opération n'est pas courant, d'où la nécessité d'inventer des choses. Cela a été au moins aussi simple que l'a été la création de GDF-Suez !
Du côté des personnels, il faut prendre en compte les logiques individuelles, notamment pour permettre le rapprochement des situations contractuelles, dans la mesure où Supélec est une association de droit privé et Centrale Paris un grand établissement public. Cependant, les personnels comprennent la logique de l'opération et leur fort sentiment d'appartenance à l'école peut aider à passer ce cap.
Quant aux élèves, en 2010, ils nous avaient doublés en organisant le premier forum commun d'entreprises, alors que nous n'avons créé notre marque que l'année suivante. Désormais, c'est à eux d'inventer leur nouvelle communauté.
C'est aux élèves de CentraleSupélec d'inventer leur nouvelle communauté
Pourquoi ne pas parler clairement de fusion ?
Parce que ce terme induit souvent de la confusion, voire de l'angoisse. Il y a en effet deux types de fusions : la "fusion-création" et la "fusion-absorption". Dans l'imaginaire, c'est en général la seconde acception qui prime. Or, nous nous situons clairement dans le premier cas, dans la mesure où nous sommes engagés dans un rapprochement à parité qui va aboutir à la création d'un nouveau grand établissement.
Celui-ci délivrera-t-il un diplôme unique ?
Pour l'instant, chaque école va conserver son diplôme propre : Centrale et Supélec sont deux marques fortes, attractives et reconnues. Sans préjuger de ce qui sera décidé par la suite, rien n'interdit néanmoins de penser qu'il pourra un jour y avoir deux cursus au sein d'un même établissement : l'un typé Centrale, l'autre Supélec.
Et peut-être à un moment envisagera-t-on d'instaurer un tronc commun ? Mais nous n'en sommes pas là. Dans tous les cas, s'il y a des évolutions, elles devront se faire en concertation avec les écoles, les élèves et les employeurs.
Et qu'en sera-t-il côté recherche ?
Chaque école rassemble sept laboratoires. Certains entretiennent déjà des liens forts, d'autres non parce qu'ils sont sur des domaines très éloignés. Si l'on veut garder l'excellence de chacun, il faut rester pragmatique et continuer à travailler ensemble de la même manière.
Quel est donc le principal intérêt de cette fusion ?
L'attractivité au niveau mondial. Nos deux écoles sont déjà reconnues à l'étranger, mais il faut passer pleine piste à l'international. Nous n'avons pour l'instant ni la taille ni la visibilité qui nous permettraient d'attirer aussi facilement des enseignants et des élèves étrangers brillants, comme le font, par exemple, l'université technique de Munich, l'université nationale de Singapour ou encore Columbia.
Sur ce point, CentraleSupélec et l'UPSA [université Paris-Saclay] vont dans le même sens : à l'international, les deux sont désormais indissociables car il s'agit d'un jeu de valorisation réciproque. Les cinq écoles d'ingénieurs réunies à Saclay apportent des compétences en ingénierie uniques. À l'inverse, être une composante de l'UPSA permet immédiatement de situer le niveau d'excellence de ce collège d'ingénierie.
Dans quelle mesure la future loi ESR aura-t-elle des conséquences sur l'avenir de Saclay ?
La première incidence que je vois concerne le calendrier. Si l'on interprète le projet de loi, en allant au bout de sa logique, on se rend compte que la date clef pour Paris-Saclay est en train de pivoter de janvier à avril. En soi, avoir quelques mois de décalage n'est pas un problème, à condition, cependant, que cela ne casse pas l'élan.
En effet, la nouvelle cartographie des masters, qui vise à simplifier la lisibilité de l'offre de formation, est attendue pour avril 2014. Cela signifie que l'UPSA ne pourra pas porter de master avant cette date, alors qu'elle doit officiellement être créée le 1er janvier.
De leur côté, les établissements ont déjà bien avancé. Nous devrions atteindre vraisemblablement le double de masters cohabilités que le minimum fixé initialement (30%) !
Il serait extraordinaire qu'on ne soit pas capable de faire émerger une dizaine de pôles d'excellence en France
La recomposition du paysage de l'enseignement supérieur autour de 30 sites vous paraît-elle nécessaire ?
Absolument. Il s'agit là de l'aboutissement d'une tendance que l'on perçoit depuis des années : celle de la restructuration de l'enseignement supérieur et de la recherche autour d'un nombre limité de pôles.
Pendant longtemps, nous avons eu le potentiel sur le papier. Désormais, nous devons passer à la réalité. Cependant, il faut qu'au-delà des lois, les communautés prennent conscience d'un avenir collectif. En ce sens, les Idex ont eu de réelles vertus éducatives dans la mesure où nous avons appris à travailler ensemble. Reste à mettre ces projets en œuvre, mais il serait extraordinaire qu'on ne soit pas capable de faire émerger une dizaine de pôles d'excellence en France !
Académicien depuis cinq ans, vous allez officiellement prendre vos fonctions de délégué général de l'Académie des technologies le 1er juillet 2013. Comment envisagez-vous cette nouvelle mission ?
L'Académie des technologies s'étant emparée du dossier de la réindustrialisation, il y a une réelle continuité avec ce que j'ai fait à Supélec. C'est un sujet essentiel, qui nécessite une mobilisation générale. La publication du rapport Gallois sur la compétitivité de même que la relance du CNI [Conseil national de l'industrie) me semblent des signes positifs.
Il faut réinventer le concept de filière, les réorganiser en définissant peut-être une dizaine de domaines prioritaires d'excellence pour l'industrie française. Voilà notamment ce à quoi je vais m'atteler à l'Académie des technologies, en suivant sa jolie devise : "Pour un progrès raisonné, choisi et partagé".